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FNSEA Tout faire pour rester le poids lourd

Alexandre Hobeika, docteur en science politique, auteur d’une thèse sur la FNSEA. © R. Aries/GFA

« Désignée responsable de tous les maux, la FNSEA est en réalité loin d’être toute-puissante », constate le docteur en science politique, Alexandre Hobeika, à l’issue d’une enquête menée sur le travail de représentations des agriculteurs par le syndicat. Il répond aux questions de La France Agricole.

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Pourquoi avoir choisi la FNSEA comme thème de votre thèse ?

Alexandre Hobeika : La FNSEA est aujourd’hui sous le feu de la critique, mais les travaux en sciences sociales sur elle sont peu nombreux depuis une trentaine d’années. Depuis le début des années 2000, la majorité des thèses de sociologie et de science politique se sont plutôt intéressées au bio et à la Confédération paysanne. Mon travail a visé à documenter ce que fait la FNSEA au quotidien, et son implantation locale. J’ai voulu comprendre comment elle maintenait sa position de syndicat majoritaire et gérait les tensions en son sein dans un contexte de spécialisation toujours accrue des exploitations et des territoires, de libéralisation du secteur agricole, et de baisse du poids électoral des agriculteurs.

Vous avez réalisé cette enquête sur cinq ans. Comment avez-vous procédé ?

J’ai enquêté principalement à l’échelon départemental, surtout dans l’Orne (sur la période de 1980 à 2015). Le département possède une hétérogénéité de productions : le lait, la viande et les céréales, à savoir trois des productions à la fois les plus importantes pour la Pac et les mieux structurées dans la FNSEA. Et l’échelon départemental est un lieu d’observation très intéressant des liens qu’entretient le syndicat majoritaire à la fois avec les agriculteurs mais aussi les OPA et l’Administration. J’ai procédé par entretiens avec les dirigeants syndicaux départementaux et cantonaux, par observation de nombreuses réunions internes, de réunions avec l’Administration, manifestations, etc., et par exploitation des archives du syndicat.

La FNSEA a-t-elle perdu de son influence ?

Je peux d’emblée souligner que, bien que la FNSEA soit désignée comme responsable de tous les maux dans beaucoup de débats publics, elle est loin d’être toute-puissante sur l’agriculture. Le syndicat majoritaire fait plutôt office d’interface entre les agriculteurs et l’État, et les OPA. L’une des conséquences est que l’activité des dirigeants syndicaux est d’abord de siéger dans une foule de comités et réunions. Dans l’Orne, l’un des dirigeants a jusqu’à 33 mandats de représentation au titre du syndicat, la moyenne étant autour de 10-15 pour chacun des principaux dirigeants. Cette activité est très importante mais n’est pas très visible.

Quelles relations entretient la fédération avec l’Administration ?

La FDSEA joue un rôle para-administratif important, qui peut se voir comme une forme de service à la fois à l’Administration et à l’ensemble des agriculteurs. Cette dimension n’est pas très visible de l’extérieur, mais elle occupe une part importante des activités des dirigeants syndicaux, pour l’activation des procédures d’indemnisation au titre des calamités agricoles, le travail sur les cartes répertoriant les cours d’eau, le suivi de maladies animales (en l’occurrence la fièvre catarrhale ovine, qui touchait aussi les bovins), etc. Bien qu’on parle souvent de cogestion, la relation entre syndicat majoritaire et Administration n’est pas de l’opposition ni de la collaboration, mais est faite de rapports de force permanents.

Mais pourquoi l’Administration consent à ces rapports ?

Si la FDSEA est écoutée par l’Administration, c’est que l’État n’est pas en mesure d’administrer le secteur agricole plus directement, mais aussi qu’elle parvient à se montrer comme un interlocuteur incontournable, soit parce qu’elle apporte une information, soit par sa capacité de blocage. Pour les procédures calamités par exemple, bien que le dispositif ait l’air simple et technique, le syndicat peut, ou parfois doit se mobiliser auprès de l’Administration. La FDSEA peut aussi faire valoir une capacité de mobilisation de son réseau pour fournir des informations rapidement sur l’état de la diffusion d’une maladie et des comportements des éleveurs face à celle-ci. À l’inverse, elle peut bloquer des collectes d’informations, en appelant les agriculteurs à ne pas répondre à un questionnaire facultatif élaboré sans son aval.

Dans quel autre secteur le syndicat domine-t-il encore ?

Il a du poids sur les questions économiques et professionnelles, en particulier sur la régulation du marché des terres, avec les autorisations d’agrandissement et les aides à l’installation. Cette situation amène des critiques sur le fait que le syndicat aurait trop de pouvoir, ou aurait un fonctionnement en partie clientéliste sur certaines de ces questions. C’est un argument qui contribue à la progressive libéralisation des marchés des terres, mais on est toujours dans un fonctionnement en partie régulé par l’Administration et les organisations professionnelles agricoles. Ce sont aussi des questions qui sont présentes dans l’esprit des agriculteurs, et ça peut être un argument pour être adhérent.

N’existe-t-il pas de garde-fous ?

Dans le même temps, il faut aussi noter que pour les syndicalistes, le travail en commission pour l’attribution des terres est un travail lourd et pénible, dont ils retirent peu de bénéfices personnels. De plus, dans les commissions leur pouvoir est limité et encadré par l’Administration, et donc par le droit administratif. En pratique, ils sont en général plutôt favorables à des exploitations « classiques » de taille moyenne et grande, mais ils sont très loin d’avoir tout pouvoir sur les décisions.

Comme sur les prix payés aux producteurs ? N’est-ce pas là le talon d’Achille de la FNSEA : son rapport aux transformateurs et à la grande distribution ?

Sur ce point, je me suis intéressé au lait, un marché fortement dérégulé depuis une dizaine d’années et la fin progressive des quotas. Le syndicalisme de la FNSEA n’est pas apparu en mesure de maintenir une régulation par les interprofessions régionales, malgré des mobilisations fortes en ce sens. Sur les marchés des produits, le syndicalisme majoritaire est en difficulté pour continuer à peser. Cela dit, la situation est très différente en fonction des productions. Le colza diester est un exemple inverse bien connu, où les producteurs ont réussi à s’organiser, avec le soutien de l’État.

Sa faiblesse ne tient-elle pas aussi à la diminution du nombre de ses adhérents ?

Même si le taux d’adhésion et le nombre d’adhérent tendent à diminuer, il existe toujours une base d’adhérents fidèles. Et pour l’expliquer, on peut souligner l’importance de plusieurs facteurs, comme le caractère de sociabilités professionnelles que peuvent représenter les groupes locaux FDSEA… En particulier s’il existe un noyau d’agriculteurs du même âge qui ont pu se connaître aux JA et qui ont continué à la FDSEA. Le syndicat est aussi organisé pour le suivi du renouvellement des adhérents, plus que d’autres syndicats.

Les services rendus par le syndicat à ses adhérents sont-ils toujours aussi attractifs ?

Les « services » restent un facteur très important, oui. Il existe différentes formes d’accompagnement, allant des dossiers individuels dans les procédures de demande d’agrandissement, au conseil juridique, jusqu’à des services marchands comme l’édition de feuilles de paie. La tendance est au développement de services individualisés et marchands, plutôt que de contenus « à volonté » promis à l’adhésion. Les FDSEA parviennent aussi à développer des filiales qui peuvent être rentables et qui ont un rapport plus indirect avec l’activité agricole, comme la presse agricole, les entreprises d’imprimerie, de communication, etc. Mais le syndicat est de plus en plus confronté au contrôle accru de l’État – il est de moins en moins possible de jouer sur les limites des réglementations et des missions des institutions –, et à la concurrence grandissante avec les OPA.

Cette concurrence avec les OPA n’a-t-elle pas toujours existé ?

Jusque dans les années 1990, les domaines d’activité étaient relativement bien délimités entre syndicat, centre de gestion, Crédit agricole, etc. Mais depuis une vingtaine d’années, les OPA tendent à se faire concurrence sur les services. Et les FDSEA n’étant pas des entreprises à but lucratif, elles sont assez peu armées pour y faire face. Elles peuvent s’entraider entre elles et éventuellement avec le soutien de la FNSEA pour développer des activités de ce type, mais traditionnellement, jusque dans les années 2000, les FDSEA collaboraient assez peu entre elles. La FNSEA œuvre pour changer cette situation et aller dans le sens d’une meilleure coordination. Cette solidarité, et le soutien du national, sont aussi des facteurs explicatifs de la résilience du tissu des FDSEA, de la capacité à surmonter des défaites électorales, qui sont aussi des crises financières pour le syndicat.

Propos recueillis par Rosanne Aries

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